Dans une tribune publiée, ce dimanche soir, Amadou Gueye, président de l’Union nationale des indépendants du Sénégal (Unis) dénonce l’arrestation du journaliste Simon Faye la qualifiant de dérive autoritaire inquiétante. Il alerte sur l’instrumentalisation de la justice, la fragilisation de la presse libre et la tendance à museler toute critique à l’égard du pouvoir. Pour lui, cette arrestation n’est pas un fait isolé, mais le symptôme d’un régime qui sacrifie les libertés fondamentales sur l’autel de la susceptibilité politique.
Voici l’intégralité de son texte
L’interpellation de Simon Faye de SentTV est une atteinte à nos libertés fondamentales.
La loi religieuse, la morale, les coutumes et traditions et la loi civile moderne de notre pays existent pour défendre les 5 libertés fondamentales de tout individu : la protection de sa vie, la protection de son honneur, la protection de ses biens (propriété), la protection de sa foi (croyance) et la protection son esprit (sa pensée, ses idées et opinions). La protection de ces 5 libertés est le fondement de toute loi. Elles sont nécessaires à tout individu et à toute société. Leur répression étouffe les voies d’expression de l’homme par lesquelles il produit en société. Quand un en est privé injustement, nous sommes tous visés. Nous devons tous nous y opposer. L’interpellation de Simon Faye de SentTV est une atteinte à la liberté de penser et d’informer. Aucun propos de Simon Faye n’a provoqué de désordre public, encore que les actes de désordre auraient été la responsabilité de ceux qui les commettent.
C’est un journaliste honorable, ni provocateur, ni source de déstabilisation, de la paix civile ou de nos institutions. Peu importe que Simon Faye ne soit pas l’auteur de l’article dont on l’accuse être la source, peu importe l’auteur, son interpellation et garde à vue relèvent de l’intimidation de la presse et une tentative de conditionnement des sénégalais à vivre dans la peur de leurs propres opinions, pour peu qu’elles vexent le premier ministre Ousmane Sonko ou écornent son image. La susceptibilité ou la vexation d’un premier ministre ne sont pas des raisons suffisantes pour poursuivre un citoyen ou journaliste, encore moins de le retenir en garde à vue. C’est un abus qui vient démentir le discours du président de la République, lors de son dernier entretien avec la presse. Il a essayé de nous faire croire que les arrestations n’ont jamais été liées à son PM. Sa langue a fourché. Tous les observateurs savent que le PM est la source de ces arrestations, peu importe qu’il ait formellement demandé une action ou non à la DIC ou procureur d’agir. C’est le propre des régimes de terreur que ces derniers agissent sans ordre en agents zélés, dédiés à la défense de l’image et des apparences des autorités suprêmes. Cela ne fait aucune différence, que ces autorités donnent l’ordre ou non. Leur caution tacite justifie tout leur zèle. La déclaration du président de la République, en niant les faits, a cautionné la continuation d’une pratique que certains croyaient être un dysfonctionnement temporaire. Malheureusement, l’intimidation et l’instrumentalisation de la Dic comme police politique continuent. Les sénégalais s’attendaient à ce que ces pratiques disparaissent définitivement.
Suffit-il de rappeler que : Tout citoyen est libre de porter son regard sur tous les faits de sa société, dire et écrire ce qu’il pense de l’action publique et de ses autorités qui la mettent en œuvre, sans devoir se justifier. Tout citoyen sénégalais, à fortiori un journaliste, intellectuel, penseur, analyste qui produit de la matière grise, est libre d’écrire et publier ses réflexions, analyses et interprétations de faits. Il est libre de lire, interpréter, décrire, caractériser, qualifier ces faits selon sa compréhension, ses propres inclinaisons idéologiques, son penchant pessimiste ou optimiste, son imagination, ses illusions, ses désirs, ses ambitions, ses craintes, ses sentiments. Tout cela forme son esprit. Il peut les publier, partager, en discuter, les corriger, les maintenir ou les désavouer ensuite. Tout cela relève de la liberté de penser, de la dialectique citoyenne et des droits intellectuels. Il peut critiquer directement et nommément Ousmane Sonko Ou Diomaye Faye ou tout autre. Il peut lire et même qualifier son déplacement à Abidjan comme il le voit, pense et l’interprète. Il peut lire sa visite chez le khalife Général comme un acte politique. Il peut interpréter ses décrets comme des abus de pouvoir. Il peut juger son inaction comme de la peur.
Il peut le soupçonner de ne pas dire la vérité. Il peut le supporter, le flatter ou le flétrir comme il veut. Les nouveaux dirigeants devraient plutôt accepter avec honneur ces servitudes de leur fonction. Ils sont soumis à la circonspection générale. C’est une servitude des mandats publics. Ils devraient savoir ce qu’ils sont devenus, travailler, arrêter de faire preuve de susceptibilité et cesser de gaspiller le temps et les ressources de la DIC qui à son tour devrait se consacrer à des choses plus importantes pour la sécurité des sénégalais que les peccadilles de la primature. Les souffrances économiques des sénégalais sont dramatiques alors qu’ils restent endurants. Ils s’en moquent totalement si Sonko est convoqué à Abidjan, Londres, Bamako ou ailleurs. Et lui devrait s’inspirer de leur résilience et se gausser de choses qui ne sont que spéculations. Au demeurant, si cela l’agace ou nécessite d’être clarifié, il est bien libre de réagir pour rectifier. Cette dialectique est citoyenne, publique, fondamentale dans l’espace de liberté républicain. Toute action du président de la République, du premier ministre ou d’un ministre ou directeur, qui il faut le rappeler sont des fonctions publiques conférées au nom et pour le peuple, ne peut échapper à cette liberté de jugement, critique, analyse et appréciation, quel que soit la perspective de l’auteur, soit-elle positive ou négative, spéculative, descriptive, vraie ou fausse. La volonté de réprimer le droit des citoyens et journalistes de dire ce qu’ils pensent des actions des autorités, traduit réellement un handicap intellectuel profond de la part du régime actuel. Leurs actes de répression pour brider la liberté d’informer des sénégalais seront enterrés par la longue marche de ce pays vers plus de liberté et non moins de liberté. Encore plus de liberté. Les droits consubstantiels à la liberté des hommes sont supra constitutionnels et inaltérables. Il faut être vrai, noble, juste pour gouverner les hommes et respecter leurs droits inaltérables. Il faut avoir une mémoire vide d’histoire pour croire que la terreur pourrait mettre fin à la propension des hommes à critiquer ce qui se déroule sous leurs yeux, dans leurs propres pays. Il faut avoir une mémoire vacante pour croire que la prison, la DIC et les condamnations auront raison de la détermination des sénégalais à penser et écrire sans aucune permission préalable. Les deux frères siamois qui gouvernent devraient plus lire l’histoire des hommes et sociétés.
Ils devraient s’inspirer des prophètes dont ils cultivent la barbe et la posture mais n’en gardent aucun trait authentique si on en juge par l’intimidation, les emprisonnements arbitraires et l’instrumentalisation judiciaire de plus en plus nette comme voie de règlement de comptes et stratégie de contrôle de l’opinion publique en s’attaquant aux espaces de liberté de la presse. Les prophètes et révolutionnaires authentiques sont d’abord des libérateurs qui élargissent et approfondissent les droits de leurs contemporains et de la société qu’ils veulent transformer. On se souvient d’eux comme ceux qui ont affranchi les hommes et femmes des jougs injustes. La gouvernance du régime actuel est une déception de ce point de vue des libertés publiques. Il est encore temps de rectifier. Il faut laisser la vivacité intellectuelle et démocratique vivre de son dynamisme sans essayer de la réprimer. Cela ne peut avoir lieu sans une vraie presse libre. La ligne éditoriale d’un journal est son choix. Pour ou contre le pouvoir, c’est aussi son choix. Les sénégalais attendent autre chose de la DIC, du procureur et PM que poursuivre Simon Faye.
Amadou Gueye, President de l’Unis.
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