- Le Sénégal aborde la CAN Féminine CAF TotalEnergies 2024 avec ambition, fort d’un groupe en pleine maturité, mêlant cadres expérimentées et jeunes talents issus des U17 et U20
- Mame Moussa Cissé, le sélectionneur des Lionnes de la Teranga mise sur l’humilité et la rigueur, tout en affichant une volonté claire de franchir un nouveau cap dans une poule relevée avec le Maroc, la RDC et la Zambie
- Les Sénégalaises entament une nouvelle dynamique, symbolisée par une deuxième qualification consécutive à la CAN et des progrès constants depuis 2022
Trois ans après avoir retrouvé la scène continentale, le Sénégal s’apprête à disputer une deuxième Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies consécutive. Un événement historique pour les Lionnes de la Teranga qui n’avaient plus enchaîné deux participations depuis la création de la compétition. À la tête de la sélection depuis 2019, Mame Moussa Cissé a œuvré avec patience, méthode et ambition pour structurer un projet durable autour du football féminin sénégalais. En quelques années, le technicien a accompagné l’émergence d’un groupe compétitif, ouvert à la jeunesse, sans céder à la facilité d’une hiérarchie figée.
À la CAN Féminine 2022 au Maroc, ses joueuses avaient surpris en atteignant les quarts de finale, éliminées par la Zambie aux tirs au but (1-1; 4-2). Une performance encourageante mais frustrante, tant le potentiel du groupe semblait pouvoir aller plus loin. Depuis, l’équipe a grandi : matchs amicaux de haut niveau, joueuses parties évoluer en Europe, génération U17 et U20 intégrée progressivement. Cissé parle aujourd’hui d’un effectif « plus mature », où l’expérience des cadres côtoie l’audace des jeunes talents issus du championnat local ou de la Ligue des Champions Féminine de la CAF.
Pour cette édition 2024, le défi est relevé : logé dans un Groupe A très dense, le Sénégal affrontera le pays hôte, le Maroc, ainsi que la Zambie et la République Démocratique du Congo. Mais loin de s’en inquiéter, Mame Moussa Cissé y voit une opportunité de « se frotter encore une fois aux grandes nations africaines » et de « progresser dans l’adversité ». L’objectif affiché est clair : franchir à nouveau le premier tour, et aller plus loin que la dernière fois.
Dans cet entretien accordé à CAFOnline.com, l’entraîneur sénégalais revient sur l’évolution de son groupe, les leçons tirées de la CAN 2022, la structuration du championnat national, et la vision à long terme pour faire du Sénégal une nation qui compte durablement dans le football féminin africain. Entre lucidité, ambition et humilité, il livre aussi un regard personnel sur son parcours et les exigences du métier, en particulier dans un environnement encore en construction. Pour lui, une chose est sûre : « cette CAN est une étape, pas une fin en soi ».
CAFOnline.com : Le Sénégal est dans le Groupe A, avec le Maroc, la République Démocratique du Congo et la Zambie. Quelles sont vos impressions ?
Mame Moussa Cissé : Comme on le dit, c’est une poule relevée. Il y a de grandes équipes dans cette poule. Le Maroc, déjà en tant qu’organisateur, c’est un pays qui est allé à la dernière Coupe du Monde et qui a fait de bons résultats. La Zambie aussi, qui était dans le dernier Canada, qui est allée aussi à la Coupe du Monde. Ce sont deux très grandes équipes.
La RD Congo, même si elle n’a pas fait cette Coupe du Monde, a un groupe… c’est le TP Mazembe, qui a remporté la dernière Ligue des Champions Féminine de la CAF. Ce sont vraiment de grandes nations.
Mais à côté, il y a aussi le Sénégal, qui a fait la dernière CAN Féminine, qui a eu une expérience, de mon point de vue, très intéressante. Il y a aujourd’hui un groupe qui a envie d’écrire une nouvelle page de son histoire. Je pense que ça va être une poule où il va y avoir des matchs de grande intensité. Il s’agira pour nous de nous donner les moyens de faire une bonne CAN.
Après l’édition de 2022, le Sénégal participe une nouvelle fois à cette compétition. Vous étiez allés jusqu’en quart de finale, lors de la dernière édition. Quelles leçons en avez-vous tirées ?
On était dix ans sans retourner à la CAN. Le premier objectif, c’était de revenir. Sur la dernière CAN, on était allés pour apprendre, pour découvrir ce que c’était une compétition de haut niveau. Et nous avons vu quelles étaient les exigences, quelle intensité il fallait mettre, quels étaient – de mon point de vue – tous les ingrédients d’une haute compétition.
Nous avons appris par rapport à ça. On a eu, quelque part, une amertume. Parce qu’on s’est dit que ce match contre la Zambie, il y avait la place pour un meilleur résultat.
Mais on a compris après pourquoi on a perdu. Parce que dans la haute compétition, ce n’est pas seulement avoir les qualités physiques ou technico-tactiques. Il faut aussi gérer les émotions. Et, de mon point de vue, on avait un groupe jeune qui n’a pas su gérer ça.
Donc ça, c’est un enseignement majeur. Mais on s’est dit qu’on avait un groupe de qualité qui, s’il était perfectionné, s’il était mis dans les conditions de haute performance, pouvait faire quelque chose de grand. Et ça nous a permis d’orienter après le travail que nous avons fait par rapport à ce groupe-là.
Et si vous l’avez vu, depuis cette CAN-là, nous n’avons joué en matchs amicaux que de grandes équipes : nous avons rencontré les championnes en titre, l’Afrique du Sud. Nous avons joué le Maroc, la RDC, le Ghana. Parce que nous nous sommes rendu compte que, pour grandir en Afrique, il fallait jouer ces grandes nations-là. Et c’est en jouant ces matchs-là que vous maîtrisez mieux les exigences, le rythme et l’intensité. Et ça nous a permis de faire grandir ce groupe.
Depuis trois ans, il y a eu beaucoup de changements. Quel est le groupe aujourd’hui ? Quelle est la mentalité ?
On est dans le cadre d’une continuité. Sur le groupe qui est allé à la dernière CAN, nous avons eu beaucoup de joueuses qui se sont retrouvées ensuite en Europe. Beaucoup de joueuses dans de grands clubs : à Marseille, à Galatasaray, un peu partout en France.
Donc cela leur a permis d’aller découvrir une autre expérience, un autre niveau de jeu et de grandir dans la compétition.
Sur le groupe que nous avons aujourd’hui, nous avons 14 ou 15 joueuses qui étaient à la dernière CAN. Donc on a presque le même groupe, mais, de mon point de vue, avec plus de qualité parce que ce sont des joueuses qui ont plus d’expérience. Ce sont aussi des joueuses qui jouent à un niveau supérieur en club, donc c’est important pour nous.
L’autre aspect, c’est qu’on a le même socle. On a appris sur cette dernière CAN, et aujourd’hui, on sait mieux où orienter le travail. On ne va pas pour découvrir. Maintenant, on va avec plus de certitudes en démarrant la compétition.
On a aussi amené des jeunes parce que certaines sont parties. On a amené des joueuses issues des U17 et U20. Elles jouent encore au Sénégal, mais elles ont disputé des compétitions majeures comme la Ligue des Champions Féminine de la CAF. Certaines ont joué les éliminatoires de la Coupe du Monde chez les U17 et U20.
Donc on a un groupe composé d’anciennes, mais aussi de jeunes qui ont envie de venir découvrir cette compétition, mais qui ont déjà une certaine expérience du haut niveau.
L’équipe évolue avec l’arrivée de jeunes joueuses et l’affirmation de cadres. Comment gérez-vous cette concurrence interne ?
En instaurant des règles claires et une concurrence saine. Il n’y a pas de place acquise dans ce groupe. Le terrain est seul juge. Nous sélectionnons les meilleures, mais c’est à chacune de faire ses preuves. Le message est clair, notamment pour les jeunes : ce n’est pas parce qu’on joue à l’étranger qu’on est automatiquement titulaire.
Lors des matchs amicaux, tout le monde l’a vu : la capitaine a parfois commencé sur le banc, des cadres ont été remplacées. Ce roulement permet aux jeunes de prendre conscience de leur potentiel et de leur rôle dans le collectif. Je leur dis souvent : personne n’est indispensable, mais tout le monde est important.
Je tiens d’ailleurs à féliciter les anciennes qui jouent un rôle essentiel d’intégration. Elles encadrent les jeunes, les conseillent. C’est une richesse pour le groupe.
Que représente cette CAN Féminine pour vous ?
Une possibilité de confirmation de ce que nous avons fait, mais aussi – dans l’humilité qui nous a toujours caractérisés – un moyen de grandir encore dans la compétition. Nous nous sommes dit : nous sommes revenus il y a deux ans.
Maintenant, l’objectif, c’est de faire en sorte qu’on soit réguliers au niveau des compétitions. C’est la première fois que l’équipe joue deux CAN consécutives.
Cela nous permettra de nous forger encore dans une compétition et surtout avec un niveau plus élevé.
Donc c’est une grande opportunité pour nous de venir encore nous frotter à de grandes équipes et de continuer notre progression dans le football féminin en Afrique.
Pour cette édition, quelles sont vos ambitions ?
Aller au moins au second tour. Ce ne sera pas facile avec cette poule-là, mais nous avons l’objectif de repartir au deuxième tour, parce que c’est ça aussi, être réguliers, mais aussi réguliers dans la performance.
Donc on va se donner les moyens pour aller en quarts de finale, et même dépasser ce niveau-là. Et c’est comme ça que l’équipe va continuer à grandir.
Pour moi, je l’ai toujours dit, c’est un processus. Il faut y aller étape par étape. Il faut avoir des ambitions, mais aussi il faut être réaliste.
Donc nous allons travailler sur notre rythme de progression. Et d’abord, le premier objectif sera de tout faire pour sortir de cette poule compliquée. Ensuite, on se fixera d’autres objectifs, notamment essayer de passer les quarts de finale pour aller en demi-finale, ce qu’on n’a pas pu faire la dernière fois.
Quel regard portez-vous sur votre parcours depuis votre nomination ?
J’ai énormément appris, sur moi-même, sur la compétition, sur le football féminin. En 2019, quand je suis arrivé, on en parlait à peine au Sénégal. Aujourd’hui, c’est devenu une réalité. Le championnat prend de l’ampleur, l’équipe est suivie, critiquée, attendue. C’est un bon signe : cela signifie qu’on nous prend au sérieux.
Il y a quelques années, publier une liste ne suscitait aucune réaction. Aujourd’hui, les gens débattent, attendent des résultats. Cette pression, on l’interprète comme un signe de maturité. On a grandi. On nous demande de gagner, et c’est la preuve que nous existons désormais dans le paysage footballistique.
À l’UFOA, on attendait de nous le titre. À la CAN Féminine, on nous fixe des objectifs élevés. Mais nous, on reste dans notre ligne : humilité, réalisme, et cohérence. On connaît notre contexte, notre progression, et notre cap. Et on reste concentrés là-dessus.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune entraîneur qui souhaite se lancer dans le football féminin ?
Il faut comprendre la spécificité de ce football. J’ai commencé chez les garçons, mais les filles, une fois qu’elles vous font confiance, se donnent à fond. Elles sont à l’écoute, appliquées, et cherchent à progresser.
Il faut être juste avec elles, leur parler avec sincérité, adapter son approche. Certaines ne supportent pas qu’on leur crie dessus ; avec d’autres, il faut discuter en dehors du terrain pour les rassurer ou recadrer. C’est un travail plus exigeant, plus individualisé. Il faut aller vers elles, comprendre ce qui se passe aussi en dehors du football.
Cela demande plus de temps, plus de patience. Mais si vous avez la passion, vous pourrez vraiment les faire progresser. Et c’est ce qui rend cette mission aussi belle qu’exigeante.