Et si derrière les partenariats stratégiques entre Dakar et Ankara, se dessinait une écriture à deux mains du futur sénégalais ? Depuis quelques années, la Turquie ne se contente plus d’exporter des biens ou de signer des contrats. Elle exporte une méthode, une ambition, un récit : celui d’un modèle Erdogan qui conjugue influence géopolitique, diplomatie économique et soft power technologique. Le Sénégal, dans sa trajectoire vers 2050, devient ainsi l’un des laboratoires africains de cette projection turque à grande échelle.
Les chantiers sont visibles. Des infrastructures clés aux écoles en passant par les hôpitaux, les entreprises turques ont gagné du terrain. L’aéroport Blaise Diagne, des routes, des stades, et demain peut-être, des systèmes numériques ou des dispositifs énergétiques, portent la marque d’un savoir-faire venu d’Anatolie. Mais au-delà du bâti, c’est un tissu d’influence plus subtil qui s’étend : fondations culturelles, lycées Maarif, présence d’imams formés à Istanbul, contrats de défense ou accords de coopération universitaire. Une diplomatie diffuse, fondée sur la confiance, mais aussi sur une stratégie de positionnement claire.
Car Ankara ne fait pas que répondre à un appel d’offre. Elle anticipe, structure, propose. En participant à la Vision Sénégal 2050, elle ne s’aligne pas simplement sur les priorités sénégalaises. Elle y imprime aussi ses propres grilles. Celle d’une économie centralisée mais réactive, d’un État fort capable de piloter le développement à marche forcée, d’un partenariat « sans leçon de morale » qui séduit de plus en plus de capitales africaines fatiguées de l’approche conditionnelle occidentale.
Cette dynamique dépasse les discours. Elle redessine les sphères d’influence dans une Afrique de l’Ouest en recomposition. Face au recul français et à l’ambiguïté croissante des partenaires traditionnels, la Turquie apparaît comme une alternative pragmatique, moins idéologique que la Chine, plus opérationnelle que le Golfe, plus flexible que Bruxelles.
Mais cet ancrage n’est pas neutre. Il transforme les équilibres, rebat les cartes, impose de nouveaux rapports de force. Que la Turquie cherche à coécrire la Vision Sénégal 2050 n’est pas en soi problématique. Reste à savoir qui tient la plume, et dans quelle langue le récit sera transmis. L’enjeu n’est pas de refuser l’influence, mais de veiller à ce qu’elle serve d’abord les intérêts du pays. À long terme, l’indépendance stratégique du Sénégal ne se mesurera pas à la diversité de ses partenaires, mais à sa capacité à rester maître du scénario.