Alors que le mandat actuel arrive à son terme, la Fédération sénégalaise de football s’apprête à vivre une élection à fort enjeu. Pour la première fois depuis plusieurs années, l’unité portée par le mouvement Manko Wutti Ndamli semble menacée. Entre volonté de continuité et ambitions individuelles, les lignes bougent en coulisses. Analyse d’un jeu d’influence qui s’annonce décisif pour l’avenir du football sénégalais.
Un flou stratégique autour d’Augustin Senghor
Il est le visage de la FSF depuis 2009. Augustin Senghor, juriste de formation et dirigeant reconnu au niveau continental, a su s’imposer au fil des années comme l’homme fort du football sénégalais. Pourtant, à quelques mois de la fin de son quatrième mandat, l’intéressé entretient le flou : « Ce que je peux assurer à la population du football, c’est que les élections se tiendront au mois d’août prochain. Que les différents candidats se manifestent, car il est hors de question de toucher au calendrier », a-t-il déclaré, balayant ainsi les rumeurs sur un éventuel report du scrutin.
Ces propos interviennent dans un contexte tendu, marqué par le report de l’Assemblée générale ordinaire, initialement prévue le 12 avril, désormais fixée au 24 mai par décision du comité d’urgence. De quoi nourrir les soupçons. Mais Me Senghor se veut catégorique : « Nous avons été élus le 12 août 2021. Les élections se tiendront au plus tard le 12 août 2025. »
Autre sujet de friction : la coïncidence du calendrier électoral avec celui du CHAN 2025, programmé du 2 au 30 août. Sur ce point, le président rassure encore : « Nous avons suffisamment formé de cadres pour accompagner l’équipe nationale. Si l’équipe sortante gagne, elle poursuivra le travail. Sinon, d’autres prendront le relais. »
Le Manko se fissure
Symbole d’une gouvernance consensuelle, le Manko Wutti Ndamli – littéralement “Ensemble pour réussir” – a longtemps été la base de stabilité de la FSF. Mais cette année, les tensions internes et les ambitions personnelles rendent ce socle fragile. Ousmane Thiané Sarr, membre influent du Comité exécutif et fervent défenseur du Manko, avait tiré la sonnette d’alarme en février passé : « Nous croyons au Manko car nous avons vu ses résultats. Mais cette année 2025 est extrêmement complexe. Nous sommes engagés sur six tableaux, entre qualifications pour la Coupe du Monde, CHAN, et la CAN en fin d’année. Il nous faut un consensus. Aucun bras ne sera de trop. » Un appel à l’unité qui sonne comme un aveu de faiblesse. Car dans les faits, plusieurs voix s’élèvent pour se positionner en dehors du cadre unitaire.
Candidatures déclarées, ambitions affichées
Parmi les premiers à se lancer dans la course : Cheikh Seck, figure du football local et de la FSF. Sans détour, le vice-président de l’instance et président de Jaraaf confirme son ambition : « Je suis candidat. C’est mon ambition. Si cela doit se faire, ça se fera. Sinon, tant pis. Mais je ne me cache pas. » Une transparence qui tranche avec le flou stratégique d’autres potentiels candidats.
Malgré son attachement à la loyauté envers l’actuel président, Cheikh Seck précise : « Je reste loyal à Augustin jusqu’à sa déclaration. S’il décide de ne pas se représenter, il accompagnera le processus. S’il reste, alors chacun appréciera. » Une déclaration pleine de nuances… mais sans équivoque sur ses intentions.
Autre candidat à avoir levé le voile sur ses ambitions : Elimane Lam, membre du comité exécutif de la FSF qui affiche une approche plus diplomatique : « Je ne serai pas candidat contre un homme, mais pour une vision nouvelle. Je crois en une transition intelligente et constructive, en consolidant les acquis tout en apportant du sang neuf. » Positionné comme le candidat du juste milieu, Lam tente de séduire les différentes sensibilités du football national, y compris les anciens.
Vers une élection ouverte et disputée ?
La fin d’une ère ? Peut-être. Car si Augustin Senghor choisissait de ne pas se représenter, une guerre de succession s’ouvrirait inévitablement, dans un contexte où le consensus semble plus difficile que jamais à obtenir. Et même dans l’hypothèse d’une nouvelle candidature de l’actuel président, rien ne garantit une adhésion aussi large que par le passé.
D’autant que les statuts sont clairs : selon les points 3 et 4 de l’article 40 de la FSF, seuls les membres peuvent proposer un candidat, et ce au moins 30 jours avant la date de l’Assemblée Générale. Le secrétariat général devra ensuite communiquer la liste des candidats au moins 15 jours avant le scrutin. L’échéance approche donc à grands pas.
Ce qui se joue au-delà du poste
Au fond, cette élection n’est pas qu’une simple passation de pouvoir. Elle engage une vision du football sénégalais à long terme. L’enjeu : maintenir les acquis – une CAN, plusieurs qualifications en Coupe du monde, une structuration croissante du football local – tout en répondant à des attentes nouvelles. Professionnalisation, gouvernance plus participative, meilleure gestion des compétitions nationales, accompagnement des clubs et renforcement des sélections jeunes… les défis ne manquent pas.
Le football sénégalais entre donc dans une période charnière. Et les semaines à venir s’annoncent décisives pour connaître l’identité de celui qui, jusqu’en 2029, tiendra les rênes du sport roi au Sénégal.