sommes colossales. Le rapport décrit avec précision, comment l’institution financière publique a remplacé le Code national des marchés publics par ses propres règles.
Dans leur rapport, les auditeurs ont révélé que la CDC n’appliquait pas le Code national des marchés publics, pourtant obligatoire. En effet, il s’avère que la CDC utilisait à la place un manuel interne de 2017. Or, lorsque l’équipe d’audit a demandé ce manuel, deux versions identiques en apparence ont été fournies. Entre les deux, « des modifications manuscrites, des ajouts non datés et des corrections » discrètes ont été repérés.
D’après le document, la CDC a fonctionné pendant des années avec une réglementation capable de se réécrire en catimini, au gré des besoins, utilisant ce manuel « fantôme » pour piloter des dizaines de milliards de francs CFA. Le cas du projet immobilier des Mamelles est au cœur du scandale. Pour ce complexe massif (40 000 m² de bureaux et 230 000 m² de résidences), le contrat attribué à l’entreprise Sertem atteignait l’incroyable somme de 103,8 milliards de F CFA TTC. Dès août 2018, une lettre de commande de 29,8 milliards de F CFA a été délivrée à Sertem, alors même que le contrat principal n’était pas encore légalement signé.
Malgré le caractère forfaitaire et non révisable du marché, rapporte « Les Echos », les avenants se sont multipliés. Un premier avenant de 5,3 milliards de F CFA a été ajouté pour « ajuster » des travaux (fouilles et bétons) qui auraient normalement dû être inclus dans l’offre initiale de l’entreprise. Les auditeurs ont également indiqué qu’un quatrième avenant est intervenu après que la Banque Of Africa (BOA) ait suspendu ses versements pour un « détournement de recettes ».
La CDC a dû payer directement des sous-traitants, dont la liste officielle est introuvable. Le marché s’est conclu par un cinquième avenant en 2023, ajoutant 1,9 milliard de F CFA par une révision de prix rétroactive, en violation flagrante de la règle du marché forfaitaire. Ainsi, le contrat de 103 milliards de F Cfa s’est transformé en un document où des sommes colossales ont été ajoutées sans cadre légal clair.
Les anomalies s’étendent à la gestion. L’audit a soulevé des questions sur la mission de contrôle technique confiée à Archi Art Concept. Un avenant de 301 millions de F CFA a été signé en décembre 2023, alors que le contrat initial (502,9 millions de F CFA) était expiré depuis juillet 2022. Les auditeurs ont dénoncé un acte « sans base juridique » pour un contrat déjà éteint.
La filiale de la CDC, chargée de l’aménagement et de la construction, a cumulé deux rôles incompatibles notamment, la maîtrise d’œuvre et assistance à maîtrise d’ouvrage. Une situation qui jette une lumière crue sur les conflits d’intérêts au sein de la gouvernance. L’audit a, par ailleurs, révélé des stratagèmes sophistiqués pour simuler la compétition dans des marchés plus modestes. Pour le marché de refonte de la comptabilité (30 millions de F CFA), le cabinet HLB Sénégal n’était pas seulement candidat, c’est lui qui proposait la liste des entreprises à consulter.
Concernant l’élaboration du plan stratégique (59 millions de F CFA), les responsables de la notation ont distribué des notes passant du simple au triple pour le même cabinet, sans fournir la moindre justification. Certains dossiers étaient incomplets, sans les CV annoncés, ou présentaient des attestations douteuses, mais la procédure a continué.
Pour des marchés divers (vidéos, stores, tenues de travail, etc.), les auditeurs ont prouvé que plusieurs entreprises, en apparence concurrentes, étaient en réalité liées par le même gérant, le même actionnaire ou la même adresse téléphonique. Ces « sociétés miroirs » étaient destinées à simuler la concurrence. Même la rénovation du siège de la CDC, qui a finalement coûté 577,2 millions de F CFA TTC, présentait des doublons et des lignes de devis identiques réapparaissant d’un document à l’autre.
Pour la formation du Conseil d’administration (49,5 millions de F CFA), le consultant a été facturé pour six intervenants, alors que seulement quatre ont dispensé la formation. Un montant de 14 millions de F CFA a été payé en trop.
Le marché d’assurance maladie (98,5 millions de F CFA) a révélé des incohérences fondamentales, « lettres de notification reçues avant d’être rédigées et documents non déchargés, signe d’une absence de rigueur administrative généralisée ».
En conclusion, le rapport met au jour une institution où les procédures strictes, censées garantir la transparence des dépenses publiques, ont été systématiquement remplacées par des arrangements internes et des contournements illégaux.

