Rabat. L’ocre du sol, le vert des palmiers, le blanc des colonnes. C’est dans cette lumière du printemps marocain, au cœur de la salle Salmaiah de l’hôtel Barcelo Borj El Arab, que vingt femmes se sont réunies. Elles viennent de toute l’Afrique — du Mali, du Sénégal, du Nigeria, du Botswana, de la Sierra Leone, du Maroc — et ont un point commun : elles portent le micro, rédigent les communiqués, gèrent les crises communicatives, racontent le foot africain de l’intérieur. Ce sont les Media Officers. Invisibles du grand public, essentielles dans les coulisses.
Et pour la première fois, la Confédération Africaine de Football (CAF) leur dédie un atelier entièrement tourné vers elles. Un rendez-vous crucial dont l’un des objectifs majeurs est de préparer en amont la Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies 2024, qui se tiendra au Maroc du 5 au 26 juillet. Car à mesure que ce tournoi continental approche, la qualité du récit, la rigueur du traitement médiatique, l’impact des messages et la cohésion des communications deviennent stratégiques.
Son nom : Her Path: Born Winner. Son ambition : bâtir, former, transmettre. Sa portée : bien plus qu’une simple session de travail. « C’est un moment fondateur, dit Charlotte Eyoum, cheffe des Médias de la CAF. Car il ne s’agit pas seulement de renforcer des compétences. Il s’agit d’affirmer un espace, de rendre visible une énergie déjà bien réelle. »
Une promesse tenue
La présence de ces femmes à Rabat n’est pas le fruit du hasard. Elle est la suite logique d’un engagement pris haut et fort par le président de la CAF, Dr. Patrice Motsepe, en faveur d’une représentation accrue des femmes à tous les niveaux du football africain. Ce programme s’inscrit aussi dans le sillage du CAF Future Media Officers Program, lancé en 2021 pour professionnaliser et densifier le vivier de communicants sur le continent.
« En 2021, nous étions au pied du mur, raconte Luxolo September, directeur par intérim de la Communication à la CAF. L’image de l’institution était écornée. Nous avons dû tout reconstruire. L’année 2023 a marqué une étape cruciale avec la réussite organisationnelle de la CAN en Côte d’Ivoire. Cette année, 2024, est celle de la transmission et de la montée en compétence. »
Dans un ton sobre, mais non moins habité, il déroule la feuille de route. La communication comme pilier stratégique. Les femmes comme moteurs d’un récit plus inclusif. Et cette idée simple, presque radicale dans un milieu encore si masculin : faire confiance.
« Devenir actrices de la transformation »
Autour des tables disposées en rangée dans cette salle de conférence, les participantes écoutent, prennent des notes, posent des questions. L’énergie est studieuse, mais joyeuse. Certaines sont journalistes de formation, d’autres viennent du management sportif, d’autres encore ont appris sur le terrain, match après match, tournoi après tournoi. Toutes ont la même volonté : progresser.
Charlotte Eyoum insiste sur les opportunités nouvelles qui se créent, notamment dans les compétitions féminines. « Le changement est là, palpable. Nous avons réussi à imposer la présence de femmes media officers dans toutes les grandes compétitions de la CAF. Cela a été soutenu par des formations avec les Unions Zonales. Et aujourd’hui, nous avons une génération montante, formée, engagée, visible. »
Elle évoque aussi les passerelles avec des journalistes plus aguerries, les efforts de mentoring, l’élan collectif qui se crée. « Quand on est seule dans une fédération nationale, on peut douter, se sentir isolée. Ici, on comprend qu’on est une force. »
Silence, ça cadre
Vient alors le temps du concret. Christophe Kukawka, consultant média et cheville ouvrière des grandes compétitions de la FIFA, entre en scène. D’un ton direct, il embarque l’assistance dans les arcanes des opérations médias. Tribunes de presse, zones mixtes, conférences d’après-match, accréditations, briefings photographes, guides d’usage, procédures de crise : tout y passe.
Mais derrière les termes techniques, c’est une philosophie qui se dessine. Celle d’un métier souvent méconnu, mais absolument vital dans la mécanique d’un tournoi. « Le média officer, c’est celui ou celle qui permet à l’information de circuler. Qui rassure les journalistes, fluidifie les interactions, protège aussi les joueurs, les arbitres, les officiels. » Il introduit la notion de New Media Mixed Zone, une zone mixte pensée pour l’ère numérique, plus interactive, plus fluide, adaptée à l’instantanéité des réseaux sociaux.
Les femmes prennent la mesure du défi. Loin des clichés d’un métier glamour, c’est un engagement de chaque instant, une précision logistique, un sens aigu du timing. Et une résistance mentale à toute épreuve.
L’heure digitale
Pour faire vibrer les stades sans ballon, il faut des pixels, des formats verticaux, des playlists, des plans serrés. C’est tout le propos de l’intervention de Sheriff Hassan, directeur digital et marketing de la CAF. Il présente CAF Play, la plateforme numérique de la fédération, vitrine d’un football africain en pleine expansion.
« Nous avons investi dans la qualité de la production. Aujourd’hui, notre contenu est repris partout. Nous avons franchi le cap du million d’abonnés sur plusieurs plateformes. Mais cela n’aurait pas été possible sans une stratégie cohérente et sans relais terrain comme vous. »
Il parle engagement, storytelling, vidéos à forte portée émotionnelle. Il évoque aussi la responsabilité : celle de raconter, de valoriser, mais aussi de respecter. D’avoir une éthique dans la viralité.
Témoignages de pionnières
La journée s’achève par une table ronde entre femmes. Cinq figures, Katy Touré (Côte d’Ivoire), Houyam Benhammou (Maroc), Usher Komugisha (Ouganda), Soda Thiam (Sénégal) et Cynthia Nzetia (RD Congo) respectées du journalisme sportif et de l’administration du football partagent leurs trajectoires, leurs doutes, leurs victoires. Leurs mots résonnent comme des échos familiers.
« Le terrain, ce n’est pas un lieu neutre. Il faut prouver, encore et encore. Mais il faut aussi se faire confiance, s’imposer avec sérénité. » assure Katy Touré, Directrice des Sports de la RTI.
« Le micro que vous tenez n’est pas seulement un outil. C’est un acte de représentation. » avance Soda Thiam.
« Soyez audacieuses, solidaires, visibles. Et n’oubliez jamais que vous êtes légitimes. »conclut Houyam Benyammou, Media Officier à la CAF et à la FIFA.
Dans la salle, certaines prennent la parole pour la première fois. D’autres retrouvent une sœur d’engagement. Toutes, repartent avec plus qu’un carnet de notes. Elles repartent avec une boussole.
Un avenir au féminin pluriel
Ce premier atelier marque un point de départ, esquisse une nouvelle manière de penser la communication dans le football africain : plus horizontale, plus inclusive, plus stratégique.
« Le mouvement est lancé, constate Luxolo September. Ce sont elles qui lui donneront sa direction. Elles ne sont pas là pour figurer, mais pour construire. »
À Rabat, les discours ont évolué en éffaçant les certitudes. Et désormais, ce sont elles qui les écrivent. À la première personne. Et cette fois, ce sont les femmes qui tiennent le micro.