Au Mali, la pénurie de carburant orchestrée depuis plus de deux mois par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim), lié à al-Qaïda, et l’extension des attaques jihadistes dans le sud suscitent un regain de tensions sans précédent dans le pays. Les autorités de Transition demandent aux Maliens de faire bloc derrière elles, sous peine de faire le jeu des terroristes et de leurs « sponsors » étrangers supposés. Les opposants appellent quant à eux au sursaut démocratique face à un régime militaire jugé dictatorial, qui utilise l’argument sécuritaire pour se maintenir indéfiniment au pouvoir.
« Ne nous laissons pas enfermer dans un choix impossible entre jihadisme, islamisme et autoritarisme militaire » : dans un message diffusé mardi 11 novembre sur les réseaux sociaux, Mamadou Ismaila Konaté demande aux Maliens d’« ouvrir les yeux ». « Ce pouvoir militaire ne protège pas la nation, il la confisque », considère l’ancien ministre de la Justice, alors que les autorités de transition ont balayé toute perspective d’élection depuis plus de cinq ans et que la menace jihadiste ne cesse de s’étendre sur le territoire.
Cet appel fait suite à de nombreux autres, lancés principalement par des opposants en exil, politiques ou issus de la société civile. Dans le pays, toute parole trop critique de la Transition est sévèrement réprimée – le plus flagrant des derniers exemples étant l’emprisonnement, puis la condamnation de l’ancien Premier ministre, Moussa Mara. L’effet dissuasif fonctionne à plein.
« Regarder la réalité en face »
Me Mountaga Tall, également ancien ministre, toujours présent au Mali, ose tout de même appeler à « regarder la réalité en face, sans déni ». Dans un message publié samedi 15 novembre sur les réseaux sociaux, cette figure historique du mouvement démocratique malien avertit : « Une interminable résilience peut se transformer en résignation, laquelle peut ouvrir la voie à la révolte qui peut conduire à la répression. Ayons pleinement conscience de ce risque et veillons à le conjurer. » Et de prôner le rassemblement et le dialogue avec les groupes armés maliens, à rebours de la stratégie strictement militaire des autorités de Transition.
« Il n’y a pas de blocus »
En face, dans le même temps, les autorités de Transition invoquent l’unité de la nation face au péril terroriste. « Nous devons rester unis et éviter la panique, car c’est dans la division que nos ennemis espèrent triompher », déclarait début novembre le général Assimi Goita, chef de l’État. Le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, assure quant à lui qu’« il n’y a pas de blocus » et parle de « perturbations à l’approvisionnement pétrolier ». « Cette crise est en grande partie fabriquée et instrumentalisée par certains pays occidentaux », déclare encore Mahamadou Koné, ministre des Affaires religieuses.
« Il est difficile, aujourd’hui pour les Maliens, de choisir leur camp, analyse Oumar Berté, avocat et politologue malien, chercheur associé à l’université de Rouen. Ils subissent de plein fouet le blocus imposé par les groupes armés terroristes, mais d’un autre côté, ils sont dans un dilemme : celui de ne pas montrer leur désapprobation, leur mécontentement face à l’incapacité du pouvoir en place à lutter contre le terrorisme et à imposer la sécurité dans le pays. »
« Un discours qui fait mouche »
« C’est la ligne de conduite de ce gouvernement depuis son arrivée au pouvoir : absolument rien n’est de sa faute, c’est toujours la faute des autres, rappelle le politologue Oumar Berté. Et c’est ce qui se passe encore actuellement : selon eux, ce sont les Occidentaux qui sont derrière les groupes armés terroristes, qui les aident à imposer le blocus. C’est la France qui est ciblée. Et toutes les fois qu’il y a un discours en ce sens, contre l’impérialisme, c’est un discours qui fait mouche. »
Cette rhétorique « souverainiste », selon les soutiens de la Transition, « complotiste », selon ses opposants, n’est pas nouvelle. Elle constitue même le fondement du discours des militaires au pouvoir. Ces derniers jours, elle a trouvé des alliés de choix : les sujets sensationnalistes, caricaturaux voire mensongers produits par certains médias, notamment français, lui ont offert sur un plateau de nouveaux arguments.

